La Presse a aimé :
Pierre Rigaudière, Diapason, été 2012, n°604
Michaël Sebaoun, Classica, septembre 2012, n°145
Diapason, été 2012, n°604
Pierre Rigaudière
Lors de sa création à l'Opéra de Lille (cf n°591), cette Métamorphose d'après Kafka nous avait semblé reposer sur un geste musical univoque - une longue descente. Le passage au disque n'estompe pas ce trait saillant, mais oriente l'écoute vers la luxuriance du substrat orchestral et la richesse d'une électronique live qui colore fortement l'opéra.
Dès la situation initiale, le réveil de Grégor, le traitement appliqué à la voix de contre-ténor de Fabrice Di Falco s'avère spectaculaire ; il instaure un temps dilaté et empesé ainsi qu'une étrangeté persistante, Pourtant le procédé, utilisé de façon intensive, tend vite à se banaliser, si bien que les voix non altérées apportent un bénéfique contrepoint.
La mezzo Anne Mason, déjà mise en valeur aux côtés des deux autres voix féminines dans l'efficace prologue Je, tu, il sur un texte ad hoc de Valère Novarina, se distingue par l'ampleur et l'impact de son timbre. Ses implorations à Grégor comptent parmi les passages les plus émouvants. Magali Léger exploite avec un même bonheur la palette expressive de son rôle, celui d'une sœur qui subit elle aussi une métamorphose : aimante, dévouée, compatissante, puis finalement exaspérée, déchaînée (La sœur tournante donne lieu à une spatialisation sophistiquée) et hostile.
On retrouve dans le Madrigal II les vignettes tonales qui caractérisaient déjà Les Nègres (Diapason d'or, cf n°556), puis lors de l'arrivée des locataires (Madrigal IV) un épisode militaro-pompier qui tourne au désordre organisé. Les hennissements des cuivres, ainsi que leur hybridation par le timbre de la caisse claire, font quant à eux partie des marques de fabrique délicieusement datées par lesquelles le compositeur signe volontiers ses œuvres. En fosse, la précision d'exécution de l'ensemble Ictus se double d'un son chaleureux.
A défaut d'en restituer la dimension scénique, cet enregistrement audio de la création témoigne de l'émulation qu'avait suscité chez les interprètes cet opéra aussi risqué qu'original.
Pierre Rigaudière
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Classica, septembre 2012, n°145
Michaël Sebaoun
Après son opéra Les Nègres (2004), et dans une certaine mesure, dans sa continuité musicale, le compositeur français Michaël Levinas livre un nouvel opéra, La Métamorphose. Je, tu, il, d'après la nouvelle de Franz Kafka. Sa création a eu lieu à l'Opéra de Lille (mars 2011) dans une mise en scène de Stanislas Nordey. Le compositeur a cherché à rendre ici le caractère terrifiant du célèbre texte sur l'homme métamorphosé en insecte, un texte « qui n'est en aucune manière (…) fantastique ou pré-surréaliste », qui est plutôt gangrené par une quotidienneté, une « trivialité extrême », précise-t-il. Un texte qui permet encore à Levinas de renouer avec les hybridations sonores vocales-instrumentales-animales, présentes dans son premier opéra La conférence des Oiseaux. Et ce sont bien les multiples « anamorphoses du son » qui captivent dans ce nouvel opéra : la voix de Grégor dédoublée par l'électronique de l'Ircam (Réveil de Grégor), la vocalité traditionnelle (Imploration de la mère), le cri ou la voix «détimbrée », « vulgaire » (Prologue). Un « capharnaüm » vocal parfois renforcé par des interventions instrumentales volontairement inopportunes (cor qui imite « grossièrement » les interjections du fondé de pouvoir ; Madrigal 2), qui rappellent notre univers sonore quotidien ou celui du monde animal.
Si la texture sonore globale de l'opéra puise dans les œuvres anciennes de Levinas (Appels, pour 11 instrumentistes de 1974, ou Les Réciproques, pour 12 voix solistes a cappella de 1986), les phénomènes d'hybridations du langage musical cette fois-ci (des salves de pizzicati avant-gardistes aux accords consonants) rattachent La Métamorphose à l'opéra Les Nègres. Un opéra à découvrir absolument, où le sentiment de la dissolution (« J'descends pas d'l'animal, j'y vais! ») fusionne avec l'imaginaire. Michaël Sebaoun
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Michaël LevinasLa Métamorphose avec : Simon Bailey, Sylvain Cadars, Ensemble Ictus, Fabricio di Falco, Arnaud Guillou, André Heyboer, Laurent Laberdesque, Carlo Laurenzi, Magali Léger, Christophe Manien, Anne Mason, Benoît Meudic, Georges-Élie Octors, Julie Pasturaud aeon - 2012 - ref : AECD 1220