Nato m’intriguait. Depuis des années, j’ignorais qui pouvait se cacher derrière cette signature. Le Jean Rochard que j’ai découvert à Belleville portait bretelles et manteau de cuir. Il ne m’a pas lâché des yeux. Un de ces regards pétillants d’intelligence qui tolère mal les faux pas. J’y suis allé de mes questions, prudent comme un voyageur en terre étrangère. Cet ancien photographe est devenu producteur « de façon incontrôlée », comme il se plaît à le souligner. Sa passion pour la musique se traduit par des piges dans diverses publications (la revue Rouge, La Petite Quinzaine…) et, quelques années plus tard, par la création du festival de Chantenay-Villedieu. « L’activité de faire des disques vient conjointement », précise-t-il. Enfant, il se passionne pour la bande dessinée (de Edward P. Jacob à Franquin) et s’intéresse à la création artistique : « Quand j’étais petit, j’avais envie de faire des films, des photos. Je faisais des bandes dessinées avec mon cousin. J’aimais raconter des histoires. Finalement, ces histoires, c’est le disque qui les a portées. » À 15 ans, il est au cœur de la vague rock, yé-yé et rhythm and blues. Il écoute James Brown, Soft Machine… Quant à Jimi Hendrix, « c’est quelque chose d’indépassable. »
Le jazz vient plus tard : Cozy Cole puis Don Cherry. Mais le choc définitif viendra avec Portal et son phénoménal concert de Châteauvallon en 72. Lorsqu’en 1980 il envisage de créer la firme Nato, Jean Rochard ne porte pas sa réflexion sur le mélange. « Il y a différents éléments fondateurs pour toute personne. Je ne pense pas la musique comme une chose séparée… Entre Federico Garcia Llorca et Ursus Minor, c’est la poésie qui relie l’ensemble mais en traversant des formes très différentes. » Parallèlement il créera le label Chabada : l’aspect « récréatif » des chansons l’intéresse, les orchestrations, dans la tradition de Charles Trenet ou Jean Sablon, relèvent du jazz. Un soir, il rêve d’associer John Zorn et Steve Beresford à la voix d’une comédienne. C’est alors qu’il découvre le talent de chanteuse de Tonie Marshall, aujourd’hui cinéaste. « J’ai des rêves que j’essaie de traduire, mais jusqu’à présent j’ai toujours travaillé avec les musiciens que je voulais. »
Depuis cinq ans, il partage son temps entre Paris et Minneapolis. « C’est le travail que nous avions fait avec les Indiens d’Amérique qui m’a amené là-bas. J’y suis allé en 1990 pour rencontrer un réalisateur qui s’intéressait aux pratiques religieuses indiennes dans les prisons. » Ce mélomane ne tarit pas d’éloges sur l’effervescence musicale de cette ville. « La scène jazz, rap, punk rock, est passionnante… Minneapolis, ce n’est pas que Prince ! » L’ambiance qui plane dans la capitale du Minnesota n’a pas d’équivalent dans le reste du pays. « La scène noire y est vraiment différente », déclare-t-il avec enthousiasme.
Quant au projet avec Michel Portal, il marque le dernier cinquième de l’histoire du label : « Ce disque est très important pour moi. Il m’a permis de passer ailleurs, comme Alice au pays des merveilles. Sans ce projet, il n’y aurait pas eu Ursus Minor par exemple. » Nato, label indépendant… pas si simple. « L’indépendance est essentielle mais jamais gagnée. Mon indépendance… je la trouve très petite. Je ne peux pas faire un centième de ce que je veux. Mais pour moi il y a une guerre d’indépendance qui est permanente J’essaie de mélanger l’acte de création avec un esprit de résistance. L’indépendance économique, je ne l’ai pas. Par contre, l’indépendance d’esprit je crois en avoir assez. On va dire que je l’entretiens. » Pour ce vingt-cinquième anniversaire, Nocturne réédite intégralement la discographie Nato. Une occasion de (re)découvrir l’extraordinaire richesse de ces enregistrements. Du festival Minnesota-sur-Seine à la création d’un nouveau label (Hope Street), Jean Rochard écoute ses désirs. Comme un producteur qui s’improviserait jazzman.
Nato et MFA
Nous remercions Jazz Magazine pour son aimable autorisation. Toute reproduction à partir de ce site, autre qu’à usage strictement personnel, est interdite sans accord préalable avec la revue. |